Tout est affaire de statistiques
In the last episode…
Les banques de crédit réussissent à faire des bénéfices, à vous verser des intérêts sur votre épargne et à vous prêter de l’argent en cas de besoin, grâce à une règle simple - l’épargne rapporte moins que les prêts ne coûtent - et grâce à des statistiques précieusement élaborées et conservées.
Episode VII. The following takes place between 1970pm and 2012pm…
Les mathématiciens de la Société Caporale travaillent d’arrache-pied pour augmenter ses bénéfices (on dit maximiser quand on veut faire économiste) et limiter les risques. Et leur premier sujet de statistiques, c’est... vous.
Mettre dans des cases pour limiter les risques
Bin oui, vous, quand vous avez demandé un prêt pour acheter une voiture, un appartement ou un piano. Votre banque vous a demandé de nombreuses informations et justificatifs. Ceux-ci ont principalement servi à vous ranger dans une case statistique.
« Etudiant à la fac » + « parent enseignants » = case statistique « bien mais pas top » = 3,8% de risque de non remboursement.
La Société Caporale doit aussi avoir des statistiques très au point vous concernant pour un autre élément crucial : jusqu’ici nous avons supposé que Denis et Robert, nos épargnants qui ont déposé leurs économies à la Société Caporale, s’étaient engagés à ne pas retirer leur épargne pendant un an. Nous parlions donc d’un placement financier avec de fortes contraintes. Mais qu'en est-il des dépôts moins contraignants mais pourtant rémunérateurs comme les comptes épargne ? Pour ces dépôts vous ne vous engagez pas à laisser votre argent à la banque, on vous y incite. Grâce à des promesses d’intérêts si et seulement si votre argent reste à la banque. Mais rien ne vous empêche d’aller n’importe quand à la banque retirer votre argent. Il faudrait que la Société Caporale garde donc bien au chaud votre argent tout le temps, « au cas où » il vous prend l’envie de tout reprendre, n’est-ce pas ?
Mais ce n’est pas ce qu’elle fait. Comme vous êtes très nombreux à utiliser des comptes épargne, mettons 100 à avoir déposé 10€ comme dans l’épisode précédent, elle fait des statistiques et constate qu’en moyenne sur une période d’un an, seulement 30% de ses clients retirent leur l’argent de leurs comptes épargnes. En moyenne, la Société Caporale dispose donc de 100 x 10€ x 70% = 700€ pour investir pendant un an. En même temps c’est un peu risqué. Admettons qu’une année 40% des clients décident de retirer leur épargne en même temps, la Société Caporale aura investi ses 700€ en les prêtant, n’aura donc plus cet argent dans ses coffres, et ne pourra pas rembourser.
Pour éviter ça, on peaufine encore les modèles statistiques : en moyenne sur une année seulement 30% des clients retirent de l’argent mais les variations d’une année sur l’autre peuvent aller de 10% à 50%. Pour éviter de prendre des risques, on n’investira donc que 50% soit 500€. C’est aussi pour ça que ces comptes épargne vous rapportent moins qu’un placement dans une obligation par exemple : c’est plus risqué pour la banque, elle investit moins, vos intérêts sont moindres.
Les banques créent de l’argent
Il est temps de s’arrêter un instant sur un concept qui heurte quelque peu les esprits rationnels mais un peu naïfs en terme d’économie dont vous êtes certainement avec moi. Denis et Robert ont posé 6 et 4€ à la Société Caporale, elle les a utilisé pour un prêt à Jean-Louis. Si on parlait de pièces en métal bien réelles, les pièces de Denis et Robert n’auraient fait que changer de main, la banque n’étant qu’un intermédiaire. Mais dans notre monde moderne où votre argent est avant tout informatisé à votre banque, si Denis et Robert consultent leurs comptes, ils voient 6 et 4€ de solde. Après avoir obtenu son prêt, Jean-Louis verra de son côté 10€ de solde. Si Denis, Robert et Jean-Louis additionnent donc l’argent qu’ils sont censés avoir, ils vont compter 20€. Si Jean-Louis rembourse son prêt, son solde va diminuer mais pas ceux de Denis et Robert. La somme globale d’argent va donc revenir vers les 10€. D’où il en ressort cette réalité étonnante : pendant la durée d’un prêt, la somme globale d’argent existente a augmenté, elle est passé de 10 à 20€. La banque a « créé » temporairement de l’argent.
En même temps c’est une fausse création : si Denis et Robert ont le droit de retirer leur argent avant la durée d’un an initialement prévue pour leur dépôt, la banque ne pourra pas les rembourser. Rassurez-vous, en pratique la banque possède toujours des fonds propres, une certaine somme d’argent apportée par ses créateurs puis par les bénéfices, qui appartient réellement à la banque et peut lui permettre de rembourser les dépôts, en cas de défaut de paiement sur les prêts qu’elle a concédé. Mais bien sûr, rien ne l’oblige à n’accorder des prêts que si et seulement si ils sont couverts par ses fonds propres. Toutes les banques jouent de ce mécanisme, et sont donc exposées aux « problèmes de liquidités », un jolie formule pour désigner des caisses vides et l’impossibilité de rembourser ses épargnants.
De l’importance du domaine de validité
Si on peut à ce point risquer les problèmes de liquidité pour créer de l’argent, c’est donc parce que les statisticiens ont étudié la propabilité qu’il y avait à ce que tous les épargnants retirent leur épargne en même temps. Vous comprenez le principe ? Plus les statistiques sont précises, plus on peut aller loin dans le risque, baisser la somme d’argent réellement en banque, et plus on dispose d’une somme d’argent importante pour investir et donc pour s’enrichir.
Mais à force de pousser dans leurs retranchements ces statistiques, on peut finir par oublier un point crucial : leur domaine de validité. C'est-à-dire les conditions bien précises dans lesquelles elles sont valables. Elles sont valables tant que le comportement des gens respectent certaines normes : il est possible de les inciter à ne pas retirer leur argent trop vite par telle ou telle mesure, ils ne vont pas paniquer du jour au lendemain. En temps normal...
Et pourtant, la crise des subprimes en 2008, quelles que soient ses raisons à elle, fut une violente sortie de route du domaine de validité de ces statistiques, étriquées par des années de maximisation des profits. En temps normal, il n’arrive jamais que plus de 50% des épargnants souhaitent vider leur compte la même année. En temps normal...
Maintenant que vous avez compris les principes fondateurs, fini les statistiques, il est temps de revenir en 2008 en Irlande jouer aux dominos !
To be continued...